Pourquoi Paris perd des habitants ?

Depuis 1968, la ville de Paris perd des habitants. Pourtant, les prix de l’immobilier sont au plus haut et l'attente pour obtenir un logement social ne cesse de s'allonger, signe d’une très forte attractivité et d’un fort désir pour beaucoup de vivre dans la capitale.

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© Yann Caradec - Photo de Paris.

Évolution démographique

En 1968, il y avait 2,59 millions de Parisiens. Depuis ce point haut, Paris a perdu près de 500 000 habitants pour atteindre 2,1 millions d’habitants en 2022, soit une baisse totale de 18,4 % de sa population sur cette période. Dans le détail, après une baisse constante entre 1968 et 1999, la population parisienne a légèrement réaugmenté jusqu’en 2011 pour se remettre à baisser jusqu’en 2022. Actuellement, la population parisienne est à un point bas depuis 1968 et risque de franchir à la baisse la barre des 2 millions d’habitants avant la fin de la décennie.

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La population parisienne baisse depuis 1968.

Cette forte baisse de la population est un cas unique parmi les grandes villes de France, tout en sachant que la population française a crû constamment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans le détail, parmi les 5 villes de France les plus peuplées, Marseille et Lyon (respectivement 2ᵉ et 3ᵉ) ont vu leur population stagner depuis 1968. Quant à Toulouse et Nice (respectivement 4ᵉ et 5ᵉ), elles ont vu leur population augmenter de 38 % et 9,7 % sur la même période.

Attractivité

Paris, en tant que capitale de la France et ville la plus peuplée du pays, possède une certaine attractivité qui provient en partie de son histoire, de son architecture et de tous les bâtiments et monuments historiques qui ont été construits à travers le temps et qui sont maintenant tout autant de symboles et d’attractions touristiques. Cette attractivité de la ville est renforcée par la présence et la concentration de nombreux établissements administratifs, d’établissements d’enseignement (écoles, lycées, universités, écoles supérieures, …), d’un grand bassin d’emplois à très forte valeur ajoutée et d’une multitude d’activités à la fois culturelles et divertissantes (musées, restaurants, bars, concerts, cinémas, théâtres, opéras, commerces, etc.). S’y ajoute la présence de millions de logements et d’hébergements de tourisme aux prix, aux dimensions et aux prestations variés, qui permettent d’accueillir les habitants permanents et les touristes tout au long de l’année. Le tout est connecté par divers moyens de transport (métros, bus, trams, voitures, vélos, RER) qui permettent des déplacements relativement efficaces dans la ville et sa périphérie. Les gares TGV présentes dans la ville et les aéroports internationaux installés dans sa périphérie assurent un accès facilité à Paris pour les touristes internationaux et autres voyageurs nationaux.

Cette forte attractivité de la ville de Paris, qui provient d’un ensemble de facteurs, peut se constater concrètement dans les chiffres du tourisme (nombre d’entrées dans les musées, nombre d’arrivées dans les aéroports et les gares) et dans les chiffres du logement (prix d’achat des logements, prix des nuitées des hébergements touristiques, délais d’attente pour un logement social). En effet, les prix de l’immobilier et du logement sont le reflet d’une attractivité, car plus les individus sont prêts à payer cher un logement, plus ils ont envie d’habiter dans l’endroit où se situe ce logement, ou du moins d’y passer du temps.

Concernant les chiffres du tourisme, ils sont records à Paris par rapport au reste de la France. À titre d’exemple, l’aéroport de Paris Roissy-Charles-de-Gaulle a accueilli 70 millions de passagers en 2024, ce qui en fait le 1er aéroport de France et le 2ème en Europe. Et le musée du Louvre a accueilli plus de 10 millions de visiteurs en 2024. Il est depuis plusieurs années le musée le plus visité au monde.

Concernant les chiffres du logement, eux aussi sont records. Par exemple, le délai d’attente pour accéder à un logement social à Paris peut atteindre 10 ans, c’est bien moindre dans les autres villes de France. Concernant le prix moyen d’une nuitée en hôtel en France, c’est à Paris qu’il est le plus élevé, tout comme le prix moyen d’une nuitée d’un logement proposé sur Airbnb.

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Paris est la ville où les logements sont les plus chers parmi les grandes villes de France.

Et en ce qui concerne les prix de l’immobilier à Paris, ils sont là aussi records. En effet, parmi les communes de plus de 100 000 habitants, Paris est la seule ville à avoir un prix de l’immobilier aussi élevé. Concrètement, le prix de vente moyen (appartements et maisons) par mètre carré atteignait les 9 600 € à Paris au 1er novembre 2025, tandis que dans la seconde ville la plus chère de France (Nice), il n’atteignait que les 5 291 €/m² en moyenne, soit 4 000 € d’écart. Viennent ensuite Lyon et Bordeaux, où les prix de vente moyens par mètre carré atteignaient le palier des 4 000 €/m². Puis, dans le palier des 3 000 €/m², on retrouve toutes les autres grandes villes, qui sont presque 3 fois moins que Paris.

Cette différence entre Paris et les autres grandes villes est le résultat d’une logique de marché au sein duquel la demande pour acheter un logement est beaucoup plus forte que l’offre de logements à vendre. Alors, c’est celui qui sera prêt à payer le plus cher qui obtiendra le logement. Cette logique s’applique également aux loyers d’habitation, qui sont plus élevés à Paris que dans les autres grandes villes de France.

Pourquoi Paris perd des habitants ?

Alors, la grande question est : pourquoi Paris perd-elle des habitants malgré sa très forte attractivité ?

En effet, cette évolution de la population parisienne est curieuse, car Paris est une ville ultra-attractive, à la fois pour les Français, dont beaucoup aimeraient ou auraient aimé y vivre, et pour les touristes qui viennent par millions chaque année.

Pour comprendre cette évolution démographique, il faut analyser la ville de Paris dans sa configuration urbaine.

Paris a la particularité d’être une ville finie, à la fois dans sa limite communale, mais aussi dans son urbanisation. En effet, après de nombreux agrandissements à travers les siècles, Paris a atteint ses limites actuelles en 1954. Elles n’ont pas évolué depuis. À l’exception du domaine public, toute la ville est recouverte de bâtiments et les nouveaux terrains à bâtir sont extrêmement rares. L’étalement urbain s’est alors depuis bien longtemps propagé et établi sur les communes et départements voisins. De son côté, la densification y est très compliquée. En effet, Paris n’est pas New York. Le centre historique est ultra protégé par les règlements d’urbanisme et du patrimoine : « Pas touche aux immeubles haussmanniens et au bâti ancien ». Alors, rares sont les démolitions-reconstructions ainsi que les surélévations. Seuls quelques quartiers d’arrondissements bordant le périphérique peuvent faire exception et être densifiés.

Tout cela fait que la capitale de la France est urbanistiquement figée et que presque plus aucun logement ne sort de terre. Entre 1968 et 2022, seulement 170 000 logements ont été créés, soit un peu moins de 3 000 par an. C’est très peu dans une ville qui comptait plus d’1,4 million de logements en 2022. Dans l’ensemble, ces créations de logements ont pu se faire par la construction d’immeubles mais surtout par des réhabilitations (transformation de bureaux en logements ou de greniers en logements) ainsi que par des divisions de logements.

Paradoxalement, ces créations de logements n’ont eu aucun impact sur le nombre de résidences principales, qui a même baissé de 2,4 % en 60 ans, pour s’établir à 1,25 million. Tous les logements créés sont en quelque sorte devenus soit des résidences secondaires, soit des logements vacants. Ce qui a eu pour effet de diluer le nombre de résidences principales parmi l’ensemble des logements dans la capitale et de faire passer leur part de 94 % à 80 % entre 1968 et 2022.

Concernant le taux de logements vacants à Paris, celui-ci est passé de 3 % en 1968 à 9 % en 2022. Dans le détail, après une brusque progression entre 1968 et 1982, il stagne à 9 % depuis 1982.

Concernant le taux de résidences secondaires, celui-ci est en constante progression. Il est passé de 2 % en 1968 à près de 10 % en 2022. Son évolution peut s’expliquer par un haut niveau de vie des propriétaires parisiens, qui peuvent se permettre d’avoir plusieurs résidences et souhaitent simplement garder un pied-à-terre dans la capitale. Et depuis les années 2010, le taux de résidences secondaires est aussi porté par l’augmentation des locations de courte durée provenant de l’émergence des plateformes numériques type Airbnb.

Avec un nombre de résidences principales qui a très légèrement diminué en 60 ans, l’augmentation des logements vacants et des résidences secondaires n’a pour l’instant contribué que faiblement à la baisse de population de Paris sur le long terme. Environ 46 000 habitants peuvent lui être directement attribués sur les 500 000 habitants perdus, soit moins de 10 %.

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La taille moyenne des ménages baisse à la fois en France et à Paris.

C’est surtout la baisse de la taille moyenne des ménages, c’est-à-dire la diminution du nombre de personnes par résidence principale, qui explique 90 % de la baisse de la population à Paris. Concrètement, lorsque le nombre de résidences principales reste stable, moins il y a d’habitants par logement, plus la population totale recule. C’est ce qui se passe ici. Sur le long terme, on constate clairement que l’évolution démographique de la capitale suit celle de la taille des ménages.

Dans l’ensemble, cette tendance à la décohabitation est un phénomène que l’on observe au niveau national de manière bien plus rapide. Elle correspond à des évolutions de la société, comme le fait que la population a moins d’enfants et que les gens vivent de moins en moins en couple.

Ainsi, si cette tendance se poursuit, ce qui est fort probable, Paris continuera de perdre des habitants et le seuil des 2 millions d’habitants sera franchi à la baisse prochainement. Dans l’hypothèse où le nombre de logements vacants et de résidences secondaires reculerait, et ferait augmenter le nombre de résidences principales, cela pourrait juste avoir comme effet de faire stagner la population ou alors de limiter sa baisse, car la baisse de la taille moyenne des ménages a un effet bien plus fort. À titre indicatif, sur les 1,25 million de résidences principales que compte Paris, le passage de la taille moyenne de la population de 1,84 à 1,83 correspondrait à une perte de 12 500 habitants. Et dans l’hypothèse où le nombre de résidences principales et la taille moyenne des ménages continueraient de baisser, alors la population parisienne pourrait chuter encore plus rapidement. Alors même qu’un nombre croissant de personnes aimerait habiter à Paris.


Pierre-Louis DENIS
Auteur du livre Les principes de l'immobilier