Mandataires immobiliers indépendants : la déferlante

Passés de 18 000 à près de 50 000 en seulement 5 ans, les mandataires immobiliers indépendants sont de plus en plus nombreux, au point de représenter désormais près de 50 % des conseillers immobiliers. Et la tendance ne semble pas près de s’arrêter.

Image d'article
Image figurative générée par intelligence artificielle.

Naissance d’un modèle

Le métier d’intermédiaire en transaction immobilière (agent immobilier, conseiller immobilier, mandataire immobilier) a connu, ces dernières années, des bouleversements qui ont fait baisser les revenus moyens des professionnels du secteur, au point que cette activité est désormais devenue essentiellement secondaire.

Lire l'article : Agent immobilier : une activité secondaire

Dans ce métier, la dernière évolution majeure est l’arrivée puis la montée en puissance des réseaux de mandataires immobiliers indépendants, qui n’ont cessé de se multiplier et de croître depuis la création du premier réseau en 2002, un certain Capifrance. On recense désormais des sociétés telles que IAD, SAFTI, OptimHome, Propriétés-Privées ou Efficity.

Leur modèle est simple : proposer une marque connue à l’échelle nationale sans aucune agence ayant pignon sur rue, tout en recrutant un maximum d’agents commerciaux indépendants dans toute la France. Flexible et avec très peu de charges, ces réseaux, tout comme les agents commerciaux qui y sont rattachés, misent essentiellement sur le numérique (réseaux sociaux, sites internet, applications mobiles) pour le recrutement, les promotions, la publicité, les mises en relation, les formations, l’assistance, le partage d’annonces, les communications, etc. Les visites se font encore en présentiel.

Croissance

Même si leur développement a pris du temps, une fois le modèle économique trouvé et le système de partenariat perfectionné, leur progression a été constante, portée par l’augmentation rapide du nombre de transactions immobilières, la volonté pour beaucoup d’actifs de s’orienter dans cette voie — volonté en partie suscitée par les réseaux sociaux, les émissions télévisées de Stéphane Plaza et autres séries Netflix — ainsi que par la flexibilité proposée par ce statut et cette activité.

Image d'article
Le nombre de mandataires immobiliers indépendants a atteint un record en 2022.

Ces réseaux ont connu une véritable envolée au milieu de la décennie 2010-2020, qui s’est poursuivie au début de la décennie 2020-2030, au point de presque tripler le nombre total de mandataires immobiliers rattachés à ces réseaux en l’espace de 5 ans. Dans l’ensemble, leur nombre est passé de 18 000 à 44 000 entre 2017 et 2024, avec un pic à 48 000 en 2022.

Cette augmentation rapide du nombre de mandataires immobiliers a eu pour effet d’accroître leur part parmi l’ensemble des intermédiaires en transactions immobilières. Alors qu’ils n’étaient même pas 30 % en 2018, ils sont désormais majoritaires dans la profession.

Image d'article
Le statut de négociateur salarié en agence ne cesse de reculer dupuis 2018.

Et même si la remontée des taux d’intérêt et la baisse brutale du nombre de transactions immobilières mi-2022 / début 2023 ont fait stagner le nombre de mandataires immobiliers, la crise n’a pas mis un coup d’arrêt à leur ascension, car leur part est restée en progression.

Dans les faits, c’est surtout le modèle du négociateur salarié en agence qui a le plus pâti de cette évolution. Peu flexible, coûteux pour l’employeur et sans garantie de résultat pour ce dernier, il a fortement reculé. En fait, au fur et à mesure que la part des mandataires progressait, celle des négociateurs salariés diminuait. De son côté, l’agent commercial rattaché à une agence ayant pignon sur rue a, lui, vu sa part stagner.

Image d'article
La part de marché des agences immobilières est en recule constant.

Cette augmentation considérable du nombre de mandataires indépendants a logiquement fait progresser la part de marché des réseaux de mandataires dans l’intermédiation immobilière. Celle-ci est en constante hausse : elle représentait 3 % en 2010, 13 % en 2018 et atteignait 27 % en 2024. Dans le même temps, la part de marché des agences immobilières traditionnelles a reculé, passant de 80 % en 2018 à 67 % en 2024, signe d’un modèle qui a perdu son hégémonie.

L’ubérisation de l’immobilier

Cette performance remarquable des réseaux de mandataires immobiliers indépendants s’explique par un modèle flexible et à faibles charges fixes, grâce à l’absence d’agences physiques et à des coûts salariaux très réduits puisque les commerciaux sont indépendants. Par ailleurs, le statut de ces derniers permet aux réseaux de recruter massivement sans prendre de risque financier. Ils constituent même une source de revenus, puisqu’ils paient un « pack » mensuel d’environ une centaine d’euros, en plus de la part d’honoraires qu’ils reversent lors de chaque transaction immobilière. Tout cela permet aux réseaux de se développer rapidement en période de frénésie et d’absorber plus facilement les baisses de revenus en temps de crise.

De plus, avec moyens conséquents et une taille d’envergure nationale qui leur confère une économie d’échelle, ils peuvent mettre en place des campagnes de publicité dans tout le pays, proposer des formations de qualité qui couvrent l’ensemble du métier d’intermédiaire en transaction immobilière, mettre en place une plateforme d’assistance gratuite qui répond à toutes les questions techniques et juridiques de leurs commerciaux, et leur fournir des outils et des logiciels maison efficaces. Ce qui est difficile à mettre en place pour les petites agences immobilières locales qui n’ont pas la taille ni les moyens suffisants. Seuls les réseaux de franchise nationaux peuvent rivaliser, comme Orpi, Laforêt ou Century 21 par exemple.

De leur côté, les agents commerciaux indépendants sont des personnes beaucoup plus flexibles grâce à leur statut d’auto-entrepreneur. Sans lien de subordination ni contrainte d’horaires, ils peuvent adapter leur agenda et cumuler des activités lucratives, ce qui limite leur dépendance à une seule source de revenu. Certains peuvent être salariés dans une entreprise ou cumuler d’autres activités en tant qu’indépendants. Il y a également des retraités qui cherchent un complément de pension, et parfois même des étudiants. Dans ce cas, ils peuvent alors tous se permettre de faire moins de ventes et de dégager moins d’honoraires, car il s’agit pour eux d’une source de revenu complémentaire. Également sans agence physique, leurs charges sont faibles, ce qui fait qu’en cas de crise ils peuvent réduire ou mettre en sommeil leur activité pour revenir rapidement au moment de l’embellie. Tout cela explique donc pourquoi leur nombre a si peu baissé en 2023 et 2024, alors que le nombre de transactions de logements anciens a fortement diminué. Dans l’ensemble, ils survivent mieux aux crises et autres difficultés conjoncturelles.

Concrètement, c’est l’ubérisation de l’immobilier qui est mise en place ici.

Mandataires immobiliers indépendants : la déferlante

En ayant mis au point un modèle flexible, sans agence, avec la capacité de recruter massivement sans frais et une aptitude de leurs commerciaux à vendre avec un niveau de professionnalisme et de performance comparable à celui de leurs confrères en agence, les réseaux de mandataires indépendants ont su se développer rapidement en quelques années seulement.

Aujourd’hui, leur stratégie est simple : recruter massivement afin d’inonder le marché de mandataires immobiliers indépendants et d’engranger toujours plus de ventes.

Cette stratégie se constate dans les chiffres : alors que les réseaux de mandataires immobiliers rassemblent près de 50 % des conseillers immobiliers, ils ne comptabilisent pour l’instant que 27 % de parts de marché. Ce qui fait que le nombre moyen de ventes annuelles par mandataire est inférieur à celui de leurs confrères en agence. Mais chaque année, l’écart se resserre et la progression des réseaux de mandataires immobiliers se poursuit irrémédiablement. Leur croissance est constante et, pour le moment, rien ne semble pouvoir freiner leur ascension dans les prochaines années.

“C’est donc un véritable basculement qui est à l’œuvre dans le secteur de l’intermédiation immobilière, avec des agences immobilières qui perdent progressivement leur hégémonie dans cette activité.”

C’est donc un véritable basculement qui est à l’œuvre dans le secteur de l’intermédiation immobilière, avec des agences immobilières qui perdent progressivement leur hégémonie dans cette activité. La crise immobilière démarrée fin 2022 leur a fait très mal, car elles ont des charges fixes plus élevées et une flexibilité moindre. Celles qui ne font que de la transaction ont été les plus sévèrement touchées et sont, dans l’ensemble, de moins en moins nombreuses. À terme, la part d’agents commerciaux indépendants au sein des agences traditionnelles va continuer de stagner, voire diminuer légèrement. Quant aux négociateurs salariés en agence, ils seront de moins en moins nombreux. Certains continueront d’exister, mais ils seront polyvalents et affectés à plusieurs activités.

Cela ne signifie toutefois pas la fin programmée des agences immobilières traditionnelles qui, grâce à leurs sources de revenus diversifiées — provenant de la gestion locative, du syndic de copropriété et désormais de la conciergerie —, pourront perdurer. Elles continueront d’obtenir des mandats de vente et resteront privilégiées par les clients qui trouvent rassurant de traiter avec des agences disposant d’un lieu physique.


Pierre-Louis DENIS
Auteur du livre Les principes de l'immobilier