Immobilier de bureau : quel avenir ?

Télétravail et suppression de postes dues à l’IA : la demande de bureaux décroît et le nombre de m² vides augmente depuis 2020. Quel avenir pour ce secteur de l’immobilier ?

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Image figurative générée par intelligence artificielle.

Confinement et télétravail

Début 2020, la pandémie de Covid-19 se répand en France et oblige les autorités à décréter un confinement de la population, laissant alors les bureaux des entreprises et des administrations totalement vides. Face à cette situation exceptionnelle, des millions de salariés, de fonctionnaires et d’indépendants se retrouvent en télétravail presque du jour au lendemain. Ce nouveau mode de travail leur permet de maintenir leurs activités et de continuer à faire tourner le pays depuis chez eux, sans risquer de se contaminer.

Cet épisode a été un coup d’accélérateur énorme pour la pratique du télétravail, qui était peu répandu et qui est subitement devenu incontournable. Rapidement, le télétravail a été adopté massivement et est devenu un mode de travail comme un autre, dont beaucoup ont perçu les avantages et les possibilités qu’il offrait : flexibilité des horaires de travail, meilleure conciliation vie professionnelle / vie personnelle, suppression des temps de trajet domicile / travail.

Dès lors, une fois la pandémie de Covid-19 stoppée, les confinements levés et les déplacements de nouveau autorisés, le télétravail n’a pas disparu. De nombreux salariés et fonctionnaires ont souhaité continuer à télétravailler afin de bénéficier des avantages de ce mode de travail. Depuis 2020, beaucoup d’actifs ne sont donc jamais revenus travailler au bureau à plein temps et bon nombre sont restés en télétravail un, deux ou trois jours par semaine. Alors qu’en 2019, 4 % des salariés du secteur privé pratiquaient le télétravail au moins une fois par mois, c’était 22 % en 2024, soit un salarié sur cinq.

Cette situation a logiquement fait baisser la demande d’espace de bureaux de la part des entreprises et des administrations. Car à quoi bon maintenir un poste de travail par employé si tous ne sont pas là tous les jours ? De nombreuses entreprises ont alors réduit leur surface de bureau et mis en place des postes de travail interchangeables, ce qui a permis d’avoir moins de charges de structure et de loyers à payer. Certaines entreprises ont même fait le choix d’avoir tout ou partie de leurs salariés en télétravail à plein temps afin d’éviter de louer des bureaux et de réduire les coûts. Ils se retrouvent, si besoin, dans des espaces de coworking loués à la journée ou à la demi-journée.

Cette tendance pour le télétravail a néanmoins reculé au fil du temps. Même s’il n’a pas disparu, de plus en plus d’entreprises ont durci les conditions d’accès au télétravail et poussé pour un retour de leurs salariés au bureau le plus de jours possible par semaine. Elles invoquent entre autres des raisons de productivité et d’efficacité dans les échanges entre les employés.

Toutefois, comme cela vient d’être dit, le télétravail est devenu un acquis pour bon nombre de salariés et de fonctionnaires, qui veulent continuer d’en bénéficier. C’est même devenu une condition d’embauche pour des candidats et un motif de démission pour des salariés qui ne peuvent plus ou pas en bénéficier. Dès lors, même si dans des proportions moindres qu’en 2020 / 2021, le télétravail continue de perdurer et d’affecter la demande de bureaux.

Intelligence artificielle

Lancé officiellement en novembre 2022 par la société OpenAI, ChatGPT 3.5 s’est répandu dans le monde comme une traînée de poudre. En deux mois, ce robot conversationnel boosté à l’intelligence artificielle (IA) a atteint les 100 millions d’utilisateurs, ce qui est tout simplement un record d’adoption pour un service numérique.

Depuis, l’engouement pour ce type d’outil n’est jamais retombé. Les agents IA se sont démultipliés et la concurrence s’est développée. Google est entré dans la danse avec Gemini, Microsoft avec Copilot, et de nombreuses start-up ont également émergé, telles qu’Anthropic avec Claude et Mistral AI avec Le Chat. En 2025, trois ans après l’apparition de ChatGPT, OpenAI revendiquait 800 millions d’utilisateurs hebdomadaires pour son chatbot. Quant à Google, il revendiquait 600 millions d’utilisateurs mensuels pour Gemini.

Cette montée de la concurrence s’est accompagnée d’une pluie de milliards de dollars d’investissements dans cette technologie et de la promesse de la mise au point d’une IA générale, qui, à terme, sera capable de remplacer les humains dans presque toutes leurs tâches professionnelles.

En 2025, même si les humains restent indispensables, les effets de l’IA sur l’emploi sont déjà visibles. On observe actuellement un arrêt des recrutements et un attentisme de la part de nombreuses entreprises pour savoir comment l’IA va faire évoluer les métiers. Et, dans l’actualité, les annonces de suppressions de postes liées à l’IA s’enchaînent. Récemment, le patron de Microsoft, Satya Nadella, disait que 20 à 30 % du code informatique était déjà écrit par l’IA. Ce taux pourrait monter à 90 % en 2030. Peu de temps après, la société a annoncé le licenciement de 3 000 développeurs informatiques. Quant à Amazon, l’entreprise annonçait fin 2025 la suppression de 14 000 postes directement à cause de l’IA. Récemment, c’est l’assureur Allianz, la compagnie aérienne Lufthansa et le groupe informatique HP qui ont annoncé des suppressions de postes à cause de l’IA.

Face à cette nouvelle technologie, ce sont les métiers de bureau qui sont les premiers impactés. On retrouve notamment des développeurs informatiques, des téléconseillers, des banquiers, des assureurs, des comptables, des analystes et même des journalistes. En remplaçant des travailleurs du secteur tertiaire, l’IA a donc un effet direct sur la demande de bureaux de la part des entreprises, dont les effets sont déjà là et vont s’amplifier. Car les IA n’ont pas besoin de bureau pour travailler : elles prennent vie dans des serveurs situés dans des entrepôts, appelés data centers, qui se trouvent en grande partie aux États-Unis.

Alors, à terme, si l’IA remplaçait ne serait-ce que la moitié des employés de bureau, cela aurait un impact considérable sur la demande de surfaces de bureaux de la part des entreprises.

Immobilier de bureau : quel avenir ?

Dans ce contexte, la grande question est : quel avenir pour les millions de m² de bureaux en France et dans le monde, face à l’émergence et au développement coup sur coup du télétravail et de l’IA ? En cinq ans, tous deux sont venus bousculer le secteur de l’immobilier de bureau comme jamais auparavant.

Dans les chiffres, leurs effets sont déjà très concrets sur la baisse de demande de bureaux. Fin septembre 2025, le nombre de mètres carrés de bureaux vides en région parisienne atteignait 6,13 millions, selon les chiffres du groupement Immostat. Alors qu’en 2019, le nombre de mètres carrés de bureaux vides en région parisienne n’atteignait que 2,9 millions de m², soit moitié moins.

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Depuis 2020, le nombre de mètres carrés de bureaux vides augmente en Île-de-France.

L’inversion de la tendance s’est produite précisément en 2020, à la suite des confinements et de la démocratisation du télétravail dans les entreprises. Depuis, le nombre de m² de bureaux disponibles en Île-de-France n’a fait que d’augmenter.

En France, bon nombre d’immeubles de bureaux situés dans les grandes villes sont détenus intégralement par des sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), qui permettent à n’importe qui de pouvoir investir dans ce type d’actif via l’achat de parts. En échange, les détenteurs de parts reçoivent chaque année un dividende équivalent à une fraction des loyers encaissés ainsi que des plus-values de cession lors des ventes d’immeubles. Longtemps considéré comme un investissement durable et sans risque, ce type d’investissement a été bousculé par les évolutions actuelles.

En 2024, le prix des parts des SCPI spécialisées dans les actifs de bureaux a diminué de 7,1 % en moyenne. C’est la plus forte baisse parmi les SCPI. Celles spécialisées dans les commerces ont vu le prix de leur part diminuer de 0,4 %. Quant aux SCPI spécialisées dans le résidentiel, le prix de leur part a augmenté de 0,5 %.

Concernant le taux de redistribution, celui des SCPI de bureaux s’établissait à 4,4 % en 2024. Il était de 4,3 % pour les SCPI résidentielles, de 4,9 % pour les SCPI commerces et de 5,6 % pour les SCPI logistique et locaux d’activités. Les SCPI de bureaux font donc partie de celles qui offrent le moins bon taux de redistribution.

Tout cela montre à quel point l’immobilier de bureau est impacté par la baisse des besoins pour ce type d’actif.

Dans l’ensemble, face à cette situation, les propriétaires d’immeubles de bureaux vides s’adaptent et plusieurs options s’offrent à eux. Ils peuvent déjà baisser leur loyer pour donner un prix attractif à leur immeuble et trouver un locataire plus rapidement. Dans le même sens, il peuvent diviser leur bureaux pour en faire de plus petites surfaces qui seront moins cher et plus facilement louable. Ils peuvent aussi engager des travaux de mise aux normes et d’amélioration de la performance énergétique pour rendre leur bien plus attractif face à la concurrence. Ceux qui ont les moyens techniques et financiers peuvent s’engager dans une réhabilitation complète de leur bien pour le transformer en immeuble de logements. En dernier recours, ils peuvent vendre leurs immeubles.

Cette mise en vente intéressera des entreprises spécialisées dans la réhabilitation d’immeubles de bureaux qui en feront très certainement des logements, dont la demande est croissante. Depuis quelques années, de plus en plus d’acteurs de la promotion immobilière se tournent vers cette activité, qui offre de plus en plus d’opportunités, même si les contraintes sont davantage présentes.

En effet, la transformation d’un immeuble de bureaux en logements n’est pas automatique et prend du temps. Il ne suffit pas de remplacer le mobilier et d’ajouter des salles de bain. Il faut réhabiliter complètement l’immeuble pour l’adapter aux normes, notamment en matière d’incendie, d’accessibilité et d’usage. Cela passe déjà par un retrait des cloisons, des faux plafonds et par un désamiantage si nécessaire. Il faut ensuite rénover la façade, l’isoler et, si besoin, modifier ou créer de nouvelles ouvertures. Dans les parties communes, il faut ajouter ou remplacer l’ascenseur si besoin. Et, à chaque niveau, il faut revoir l’aménagement des espaces, créer de nouvelles cloisons et mettre à jour tous les réseaux d’eau, d’électricité, d’internet, de chauffage et de climatisation. Puis il faut ajouter des toilettes, des cuisines et des salles de bains.

Lors d’une telle opération, il faut s’adapter à la structure de l’immeuble, qui sera conservée. Cela réduit les possibilités quant à la configuration des espaces intérieurs et empêche la modification des hauteurs sous plafond. De plus, l’estimation des coûts lors d’une réhabilitation est moins précise que pour une construction sur un terrain nu. Des imprévus peuvent rapidement apparaître et impacter lourdement les bénéfices de l’opération. Le tout, sans compter les nombreuses démarches administratives et juridiques à engager en amont.

Pour conclure, la réhabilitation d’immeubles de bureaux en logements apparaît comme la solution la plus pertinente face à la croissance rapide du nombre de bureaux vacants. Cette tendance, amorcée en 2020, devrait inévitablement se poursuivre car le télétravail ne disparaîtra pas et l’IA continuera d’impacter de plus en plus fortement les effectifs du secteur tertiaire à mesure qu’elle progresse. Parallèlement, la demande de logements ne cesse d’augmenter, notamment dans les grandes villes où les prix de l’immobilier atteignent des niveaux très élevés. La transformation de bureaux en logements doit donc se poursuivre.

Toutefois, ce type d’opération nécessite du temps — plusieurs mois, voire plusieurs années. Les réhabilitations ne pourront donc pas absorber l’offre excédentaire de bureaux vides avant plusieurs décennies, ce qui fait que la surface totale de bureaux vacants va sûrement continuer de croître pendant encore plusieurs années.


Pierre-Louis DENIS
Auteur du livre Les principes de l'immobilier