Agent immobilier : une activité secondaire

L’agent immobilier, dans son activité d’intermédiaire en transactions immobilières, a vu son métier bouleversé à plusieurs reprises au cours des dernières années, au point qu’il est désormais difficile pour lui de l’exercer comme activité unique. En effet, depuis l’émergence du numérique et la montée de la concurrence, le nombre moyen de ventes par an par intermédiaire en transaction immobilière n’a fait que de baisser depuis des années. La moindre vente est alors devenue un véritable combat. L’âge d’or de cette profession est désormais bien loin…

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Image figurative générée par intelligence artificielle.

Prémices

Le rôle d’intermédiaire — on peut également parler d’intermédiation — est aussi vieux que le monde. Mettre en relation des personnes dans le but de conclure un accord remonte à la nuit des temps. Il en va de même pour l’achat et la vente de biens immobiliers, qui se pratiquent depuis les premières constructions en dur, si ce n’est même avant. Ainsi, l’agent immobilier — sans doute sous d’autres noms et sous d’autres formes — existe depuis très longtemps. Il s’agissait probablement, à l’époque, de personnes polyvalentes, au service de notables, de riches marchands ou de nobles.

Dans cet article, c’est surtout l’époque moderne qui va nous intéresser et plus particulièrement la période post Seconde Guerre mondiale.

À partir de cette date s’ouvre la grande époque du métier d’agent immobilier. En effet, tous les voyants étaient au vert : les destructions, le retour d’une partie de la population et l’accroissement démographique (baby-boom) ont stimulé la construction de logements. L’ouverture du crédit immobilier à l’ensemble de la population, ainsi que la réglementation ayant rendu possible la copropriété sous sa forme actuelle, ont fait augmenter le nombre de propriétaires occupants comme jamais auparavant. Cela a mis fin à la domination des immeubles de rapport et de leurs propriétaires rentiers, qui ont peu à peu décliné. Couplé à une longue période de paix, tout cela a apporté une croissance et un développement sans précédent. Un mélange plus que favorable au métier d’agent immobilier, qui profita largement aux agences encore peu nombreuses. Et même si leur nombre augmenta, la conjoncture économique permettait de faire vivre aisément l’ensemble de la profession, anciens comme nouveaux entrants.

1- Tournant numérique

L’arrivée du téléphone portable, et surtout d’Internet, est venue bouleverser une première fois cette profession. En permettant aux particuliers non professionnels de l’immobilier de publier eux-mêmes, et gratuitement, leurs annonces de vente en ligne, les agences immobilières se sont retrouvées court-circuitées. Elles n’étaient alors plus l’intermédiaire indispensable qu’elles avaient pu être dans la deuxième moitié du XXᵉ siècle. L’entourage et les petites annonces dans la presse offraient déjà cette possibilité, mais avec moins d’impact, moins d’informations sur le bien mis en vente et, de surcroît, de façon payante pour le journal.

Internet a également apporté davantage de transparence, aussi bien sur les procédures que sur la valeur des biens et l’état du marché. Aujourd’hui, de nombreux sites internet affichent les prix de l’immobilier rue par rue, partout en France. Estimer son logement est alors devenu presque aussi simple qu’une multiplication (surface × prix moyen du secteur). Il n’est alors plus vraiment nécessaire de solliciter un professionnel pour une estimation ou une information : tout est disponible en ligne gratuitement. Des plateformes numériques (PAP, …) se sont même spécialisées dans le conseil et l’accompagnement des particuliers, pour les aider à vendre par eux-mêmes leur logement.

Ainsi, sur l’ensemble des transactions immobilières de logements anciens réalisées ces dernières années, plus de 30 % se sont faites sans intermédiaire selon les estimations, c’est-à-dire sans recours à un professionnel de l’immobilier. Le tout avec très peu de litiges, grâce au système notarial français qui sécurise de manière fiable chaque transfert de propriété.

2- Réforme des tarifs des notaires

Le 1ᵉʳ mars 2016 est publié au Journal officiel le décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit. Peu évocateur dit ainsi, ce texte vient pourtant modifier la fixation des tarifs des notaires pour certaines de leurs activités. Cela concerne, entre autres, les tarifs applicables lorsque les notaires interviennent comme intermédiaires dans une transaction immobilière. C’est-à-dire lorsque, en plus d’établir un acte authentique de transfert de propriété, ils endossent également le rôle d’agent immobilier en signant un mandat, en procédant à des estimations, en faisant la publicité d’un bien, en organisant des visites, etc.

Concrètement, ce décret vient donner la possibilité aux notaires de fixer librement leur tarifs afin de les ajuster du mieux possible en fonction de leurs coûts. Ce qui n’était pas le cas depuis près de 40 ans. Concrètement, avant ce décret, le tarif des notaires pour cette prestation était fixe et non négociable, ce qui entrainait une absence de souplesse. En entraînant des honoraires trop faibles pour les petites ventes et trop élevés pour les grosses, ce taux fixe provoquait un décalage avec les coûts réels du travail à accomplir, ce qui incitait très peu les notaires à ouvrir un pôle spécialisé dans les transactions immobilières au sein de leurs études.

Ce nouveau décret, en laissant les notaires fixer librement leurs tarifs, leur a permis de s’aligner sur une même base de prix que les agences immobilières, ce qui a eu pour effet de rendre cette activité intéressante pour eux. Depuis 2016, nombre de notaires ont ainsi ouvert un pôle spécialisé au sein de leurs études, faisant émerger un concurrent sérieux pour les agences immobilières. Bénéficiant d’informations immobilières à la source et d’un véritable crédit de professionnalisme, les notaires ont inévitablement pris des parts de marché aux agences.

3- Les réseaux de conseillers immobiliers indépendants

Dans le courant de l’année 2002, dans la plus grande indifférence, une jeune société qui va révolutionner l’immobilier vient d’être créée. Il s’agit de Capifrance, le premier réseau de conseillers immobiliers indépendants en France.

Son principe est simple : permettre à n’importe qui de se lancer rapidement dans le métier d’intermédiaire en transaction immobilière, en tant qu’indépendant via une micro-entreprise, tout en profitant de la carte professionnelle du réseau. Les mandataires immobiliers indépendants, n’ayant ni contrat de travail, ni salaire fixe, ni horaires imposés, ni lien de subordination, ne représentent aucune charge pour le réseau auquel ils sont rattachés. Ils peuvent donc être recrutés massivement, et presque tout le monde peut être accepté. Pour mettre à niveau les néophytes et affiner leurs techniques commerciales, des formations sont proposées. Les conseillers bénéficient en outre de l’image de marque du réseau, d’un service d’assistance en cas de besoin, de logiciels de prospection, d’estimation de prix et de gestion de mandats, ainsi que d’un réseau de diffusion national.

“Le plombier, le commercial en menuiserie, le secrétaire, le serveur, le graphiste, l’étudiant, le retraité, le chômeur : tous ont pu devenir de « petits agents immobiliers » presque du jour au lendemain.”

Très peu connus pendant des années, les réseaux de conseillers immobiliers indépendants (IAD, SAFTI, OptimHome, Propriétés-Privées, Efficity, etc.) se sont multipliés et ont explosé à la fin de la décennie 2010-2020, grâce entre autres à l’augmentation rapide du nombre de transactions immobilières, à la volonté pour beaucoup d’actifs de s’orienter dans cette voie — volonté en partie suscitée par les réseaux sociaux, les émissions télévisées de Stéphane Plaza et autres séries Netflix — ainsi qu’à la flexibilité proposée par ce statut et cette activité. Tout cela a eu pour conséquence d’inonder le secteur d’agents commerciaux en immobilier en quelques années. Le plombier, le commercial en menuiserie, le secrétaire, le serveur, le graphiste, l’étudiant, le retraité, le chômeur : tous ont pu devenir de « petits agents immobiliers » presque du jour au lendemain.

Dans l’ensemble, c’est une forme d’ubérisation du métier d’intermédiaire en transaction immobilière qui a été mise en place : précaire pour le mandataire indépendant, mais d’une redoutable efficacité pour le réseau.

Agent immobilier : une activité secondaire

Entre 2018 et 2021, le nombre de « conseillers immobiliers » a augmenté de 40 %, passant de 79 000 à 111 000 selon les estimations. Sur la même période, le nombre de transactions de logements anciens sur douze mois n’a progressé que de 25 %, passant de 982 000 à 1 230 000. Puis, en 2023 et 2024, leur nombre a diminué moins vite que le nombre de ventes de logements anciens. Appliqué à l’ensemble de la profession, il y aurait donc, en proportion, toujours plus d’intermédiaires par rapport au nombre de ventes. Par conséquent, le nombre moyen de ventes annuelles par intermédiaire n’aurait cessé de baisser, ce qui pèserait sur leurs revenus moyens et les inciterait à se diversifier.

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En 2017, un conseiller immobilier réalisait en moyenne 9,6 ventes par an. Il n’en fait désormais plus que 6,4 par an.

Les chiffres de ce graphique ont été obtenus en divisant le nombre annuel de transactions immobilières de logements anciens (diminué des 30 % correspondant aux estimations des ventes réalisées entre particuliers) par l’estimation du nombre de conseillers immobiliers en activité au cours de l’année.

Aujourd’hui, en 2025, il est certain que le métier d’intermédiaire en transaction immobilière n’est définitivement plus ce qu’il était. C’est maintenant devenu essentiellement une activité secondaire. Les notaires ont toujours pour activité principale l’établissement d’actes authentiques. Les avocats, les promoteurs immobiliers et les gestionnaires de patrimoine — qui peuvent également être intermédiaires en transaction immobilière lorsqu’ils possèdent la carte professionnelle — exercent eux aussi cette activité à titre secondaire. Concernant les agents commerciaux indépendants, il est fréquent qu’il ait un autre métier à côté, à moins qu’ils ne soient en retraite et ne pratiquent cette activité pour obtenir un complément de revenu. Quant aux agences immobilières traditionnelles avec pignon sur rue, elles sont diversifiées dans la gestion locative, le syndic de copropriété et, plus récemment, la conciergerie. Le tout sans compter les particuliers qui, grâce aux aides et aux services proposés par les plateformes numériques, sont de plus en plus tentés de vendre eux-mêmes leur logement.

Ainsi, les personnes qui vivent uniquement de l’activité d’intermédiaire en transaction immobilière sont de moins en moins nombreuses. Celles qui y parviennent exercent surtout dans les grandes villes et sur le littoral, là où les prix de l’immobilier élevés génèrent des honoraires importants, permettant de bien gagner sa vie malgré un faible volume de ventes.


Pierre-Louis DENIS
Auteur du livre Les principes de l'immobilier